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Une unité syndicale
L’unification des Centrales jumelles, l’AFL et le CIO, vient de faire vivre au syndicalisme américain un moment important et peut-être décisif de sa déjà longue histoire.
J’ai assisté à ce Congrès d’unification ; comme il m’avait été donné il y a quelques années de voir renaître le syndicalisme allemand par le premier Congrès du DGB marqué du cruel vide creusé dans les rangs des militants par les années nazies ; comme j’étais au premier Congrès de la Confédération libre d’Italie où se décelait encore un reste de confusion né de l’époque mussolinienne. Comme aussi j’avais vécu, peu avant, la scission dans le syndicalisme français.
De tels actes syndicaux, création, unité ou scission, comportent chacun leurs aspects émotionnels et leur large part d’inconnu. Ils constituent moins une rectification de l’histoire qu’ils n’ajoutent des pages nouvelles à l’histoire déjà vécue.
Dans le cas américain il serait sans doute plus exact d’évoquer la juxtaposition que la fusion – au moins au sens que nous donnerions en France à ces termes – encore que des dispositions d’administration unique et des décisions de travail commun soient intervenues au niveau des deux ex-centrales, puis sanctionnées par la naissance de la nouvelle Confédération.
Cet aspect apparemment restrictif de l’unification tient moins au vouloir des hommes qu’aux diversités des structures préexistantes et aux formes de lutte qu’avaient employées les deux organisations hier encore concurrentes.
Chacune d’elles avaient pratiquement ses secteurs de recrutement et ses zones d’influence. L’unification confédérale aux États-Unis n’entraîne pas nécessairement à des unifications fédérales ou syndicales consécutives, comme il en serait en France par exemple.
Bien entendu il est dans la volonté des états-majors confédéraux de pousser au maximum à la consolidation du ciment créé par l’unité syndicale. Ce n’est pas une tâche hasardeuse. Des questions d’habitudes prises, de tournures de pensées, de tactiques aussi, opposaient l’AFL et le CIO. Mais il n’y a jamais eu de fossé idéologique, ni d’arrière-plan international, ni de fringale de domination politique, pour dresser les uns contre les autres les syndicalistes américains.
C’est d’ailleurs pourquoi tant qu’il en sera en France tel qu’il vient d’être dit, la fusion des centrale américaines n’aura aucune valeur exemplaire pour ce qui est des rapport de la CGT, dans ses positions d’attaque du syndicalisme vrai, et de défense et de reconquête de l’indépendance syndicale.
Il reste qu’aux États-Unis on est à un commencement. Et a imaginer de quel poids pèsera une masse de quinze millions de syndiqués dans la vie sociale, économique et politique du Nouveau Monde, comme aussi dans la vie du syndicalisme international !
Quelle orientation se donnera pratiquement la Confédération AFL-CIO, ainsi s’appelle-t-elle, ce n’est pas l’objet de ce court article de vouloir en augurer. Le choix lui est offert entre l’émulation dans les luttes et les sécurité sociales par les textes. Mais sûrement n’apercevons-nous cela qu’à longue échéance, car les déclarations « d’orientation » ne sont pas le fait coutumier des syndicalistes américains.
C’est plus généralement en ajoutant des actes à d’autres qu’ils tracent leur ligne de conduite. Ils ont désormais accompli celui de l’unification.
Article de R. Bothereau paru dans Force Ouvrière n°513, daté du jeudi 15 décembre 1955.