Le 150e anniversaire de la naissance d’Auguste Blanqui a été passé sous silence dans la grande presse.
Aussi nous voulons réparer cet oubli, en rappelant qu’il a consacré sa vie entière à l’exaltation et à la propagation d’un idéal dont il était l’incarnation vivante, et qu’il exerça une forte influence sur l’évolution de l’esprit de la classe ouvrière.
La destinée de Blanqui fut grandiose et malheureuse à la fois ; probablement la plus tragique et la plus émouvante dans la douleur, dans l’endurance, dans la ferveur révolutionnaire et dans la puissance extrême de la foi, qu’un homme ait connue et ait éprouvée au cours de son existence.
On ne peut le comparer à personne pour la fermeté de son caractère et la rigueur sociologique de ses idées. Il est exceptionnel dans l’histoire des grands révolutionnaires dont l’action et la pensée sont si intimement liées.
Sa vie exemplaire est l’irradiation même de sa propre philosophie, par le fait qu’il a conduit l’arme à la main des insurrections et qu’il passa 35 ans de sa vie en prison, ne voulant pas renoncer à la lutte et refusant d’abandonner la classe ouvrière dont la libération économique et morale constituait la pierre angulaire de sa théorie.
Blanqui fut entraîné dans le mouvement social par une vocation intérieure et par une force irrésistible de son tempérament.
Ce goût pour le combat, dont le but définitif à ses yeux était la réalisation d’un nouvel ordre moral de l’humanité, était si vif, qu’il délaissa bientôt ses études de droit et de médecine.
Le règne de Charles X qui touchait à sa fin, lorsque la Révolution de juillet 1830 éclata, Blanqui assoiffé de justice et de liberté, combattit avec le peuple pour le renversement de la royauté.
Il croyait à l’instauration de la démocratie, mais vite il s’aperçut que le trône avait seulement changé de monarque et que le régime d’oppression était le même. Blanqui prépara donc un nouveau soulèvement pour le triomphe de la République.
En tant que membre de la Société des Amis du Peuple, il déploya une intense activité pour la cause commune.
Le poète allemand Henri Heine, qui assistait en 1832 à une réunion secrète, écrivit dans La Gazette Universelle d’Augsbourg : « Blanqui fit un long discours, plein de sève, de droiture et de colère ». On y découvre le comportement futur de Blanqui à l’égard de la société bourgeoise qu’il ne cessera de combattre jusqu’à sa mort.
La conspiration contre la monarchie démasquée, il fut impliqué dans le procès des Quinze qui se déroula, en janvier 1832, devant la Cour d’Assises de la Seine. Blanqui exposa ses idées avec une franchise et une désinvolture qui stupéfièrent les juges : « On ne cesse de dénoncer les prolétaires comme des voleurs, prêts à se jeter sur les propriétés. Pourquoi ? Parce qu’ils se plaignent d’être écrasés d’impôts au profit des privilégiés. Et les possesseurs que la société entière doit couvrir de sa puissance, ce sont deux ou trois cent mille oisifs qui dévorent paisiblement les milliards payés par les voleurs... Le peuple fera des lois qui doivent le régir. Alors ces lois ne seront plus faites contre lui, elles seront faites pour lui. Voilà comment nous entendons la République, pas autrement. »
Dans cette interprétation fragmentaire de la justice sociale on reconnaît les contours fondamentaux de sa philosophie du monde futur. Il est condamné pour quelques mois de prison, mais lorsqu’il retrouve la liberté, il crée avec Barbès, la Société des Familles.
Dissoute peu après par le gouvernement de Louis-Philippe, Blanqui n’est pas désemparé pour autant, il fonde une autre organisation secrète : la Société des Saisons. Dès ce moment, il élabore le plan d’une nouvelle insurrection pour renverser la monarchie.
Sa théorie de la conquête du pouvoir est basée sur cette conviction qu’avec quelques centaines de militants armés et bien disciplinés, par une action rapide et ordonnée, on y peut parvenir. Il donna le signal du soulèvement pour le 12 mai 1839, qu’il dirigea lui-même. Ce fut une grave erreur théorique et stratégique et finalement un sanglant échec. Pour ce fait il fut condamné à mort, mais sa peine commuée en détention perpétuelle, on l’enferma dans la forteresse du Mont Saint-Michel ; où il y resta jusqu’à la Révolution de février 1848.
Pendant les huit années de sa détention, sa vie, dans cette prison immonde et pleine de vermine, était un véritable enfer.
Hippolyte Castille écrivait à ce propos : « On lui avait rivé des fers qui entraient dans sa chair et lui faisaient craquer les os. »
Voyant ses compagnons de lutte « pourris, couverts de plaies et de poux dévorants », Blanqui se révoltait contre la cruauté diabolique de la société civilisée, mais ne se laissa jamais aller au désespoir. Dans la prison humide et mortelle, il méditait sur les contrastes de la condition humaine, développait et approfondissait sa doctrine à laquelle il donna une forme définitive, d’où devait sortir ses ouvrages les plus importants : Critique sociale , Capital, et Travail.
En février 1848, quand il retrouva la liberté, sa popularité était telle, qu’on le désigna naturellement pour prendre part à l’œuvre de la rénovation nationale.
Blanqui constata que le gouvernement provisoire était désuni et qu’il s’écartait de sa véritable destination ; que le conflit entre le peuple et la bourgeoisie était inévitable, car cette dernière ne voulait nullement sacrifier ses privilèges et ses intérêts. C’est alors que Blanqui, en opposition avec le gouvernement, mena une violente campagne contre l’impôt extraordinaire des quarante-cinq centimes, très mal accueilli par le peuple et qui selon lui signifiait : « l’arrêt de mort de la République ».
Après la journée tumultueuse du 15 mai, qu’il avait organisée, lorsque les ouvriers envahirent le Palais Bourbon, il fut encore condamné à 10 ans d’emprisonnement. À peine sorti, Blanqui constitua encore des sociétés secrètes ; mais l’Empire le traqua impitoyablement et il dut se réfugier en Belgique, d’où il dirigea la lutte contre le régime de Napoléon III.
Il ne rentra à Paris qu’en septembre 1870. Son patriotisme lui suggéra un plan stratégique pour refouler les envahisseurs prussiens hors des frontières. Il tenta deux fois, le 31 octobre 1870 et le 22 janvier 1871, de renverser le gouvernement de Gambetta, par l’insurrection armée, mais chaque fois, il fut vaincu.
Après la signature de l’armistice, Blanqui malade et épuisé, est arrêté, par ordre de Thiers, juste à la veille de la proclamation de la Commune, dont il était membre.
Au lendemain de la Semaine sanglante le Conseil de guerre le condamna à l’incarcération à vie pour les faits du 31 octobre 1870.
Au moment de sa comparution, le journal parisien La République Française écrit : « Blanqui est pâle. La prison et la solitude achèvent de ruiner cette nature si puissante contre la douleur. Cependant il est toujours ferme et impassible. Rien n’ébranle la vivace énergie de son âme indomptable ».
L’amnistie de 1880, lui rend la liberté et le vieux lutteur reprend le combat qu’il poursuivra jusqu’à sa mort avec une farouche détermination et avec la passion idéaliste qui ne s’est jamais éteinte dans son âme.
Sur le plan sociologique, Blanqui était plus réaliste et plus logique que les théoriciens utopiques le sont en général. II tenait compte des faits tangibles de l’histoire de l’humanité et prévoyait l’inéluctabilité de la disparition du système capitaliste et affirmait que l’affranchissement de la classe laborieuse ne peut s’accomplir que par les moyens de l’éducation, à laquelle il attribuait une importance fondamentale.
C’est un peuple instruit et non ignorant qui sera seulement capable de conquérir le pouvoir de l’État et apte à la reconstruction de la société, où les notions de la liberté et l’égalité constitueront les règles quotidiennes de la vie.
- L’égalité nécessairement créera la fraternité ;
- La suppression des oligarchies et la répartition équitable de la richesse apporteront la vraie justice sociale.
Le progrès et la civilisation seront par surcroît, les instruments du bonheur général. Son axiome : « Ni Dieu, Maître », était tout un programme.
Si certaines de ses affirmations sont aujourd’hui dépassées et si l’on n’est pas d’accord forcément avec méthode de la violence, en revanche ses considérations historiques sur l’origine de la richesse individuelle, sur la valeur créatrice de la science, sur la portée de l’éducation et l’instruction du peuple, sur la nécessité de l’émancipation économique la classe ouvrière restent toujours valables.
Auguste Blanqui, surnommé « l’enfermé » fut vraiment, comme le disait Garibaldi, le martyr héroïque de la liberté humaine.
Article de Théodore Beregi paru dans Force Ouvrière n°480, daté du 21 avril 1955.