Il est hors de doute que la création de l’Association Internationale des Travailleurs à Londres (16 septembre 1864), fut un événement révolutionnaire dans l’histoire du mouvement ouvrier européen.
Elle définissait le programme commun et le moyen de combat pour la classe ouvrière de chaque pays ; Coordonnait et dirigeait les actions revendicatives sur le plan mondial ;
Donnait des directives à suivre pour toutes les sections et, par sa force morale considérable, elle constituait un facteur déterminant dans l’organisation syndicale du prolétariat, en pleine évolution, surtout en France, à la fin du règne de Napoléon III.
L’Association Internationale était née par une nécessité universelle de solidarité, d’union et d’émancipation.
Georges Duveau a écrit avec justesse : « Sous le Second Empire, l’enthousiasme pour les expéditions de délivrance l’associe à un idéal de fraternité des peuples ».
Au premier Congrès, tenu à Genève, du 3 au 8 septembre 1866, la section française était représentée par Varlin, Benoît Malon, Tolain, Bardou, Emile Aubry (Rouen) et Albert Richard (Lyon).
Des problèmes importants préoccupaient plus particulièrement les délégués européens : la lutte entre le capital et le travail, la diminution des heures de travail, l’emploi des femmes et des enfants dans les manufactures, les sociétés ouvrières et leur avenir immédiat, les impôts, le crédit international, la guerre et la paix, la création des nouvelles sociétés de secours mutuels.
Certes, à ce premier Congrès de l’Association Ouvrière Internationale, des divergences de vues apparaissaient déjà entre les tendances proudhonistes, blanquistes et marxistes.
Mais, au point de vue syndical, la première résolution du Congrès est la plus intéressante :
« La réduction des heures de travail est le premier pas en vue de l’émancipation de l’ouvrier ;
La journée de huit heures doit-être le principe de l’organisation du travail ;
Le travail de nuit ne doit être qu’une exception ; l’effort exténuant des enfants et des femmes est contraire à la santé et à la sauvegarde de la race.
Enfin, le Conseil général de l’Internationale est chargé d’établir une statistique sur les conditions du travail dans tous les pays.
Or, l’Association ne se contente pas de décisions purement théorique, en 1867, elle intervient dans les grèves des mineurs de Fuveau, des tisseurs et des fileurs de Roubaix, et des ouvriers anglais, belges et suisses : en dénonçant la cupidité des panons et en assurant les salariés de sa solidarité et de son appui matériel et moral.
Au deuxième Congrès de Lausanne (I867), l’Internationale vote une résolution en faveur de l’organisation de l’école-atelier, d’un enseignement scientifique, sur le rôle de l’’Etat qui « doit anéantir le puissant monopole des grandes Compagnies qui, en soumettant les classes ouvrières à leurs lois arbitraires, attaquent à la fois la dignité de l’homme et la liberté professionnel et productif, et la liberté individuelle ».
Non moins importante est la décision du IIIe Congrès de Bruxelles (1868) : la création d’un conseil d’arbitrage pour les grèves éventuelles.
Au cours de ce Congrès, Varlin, secrétaire de la section française, exposa sa thèse sur la réduction des heures de travail : « Par la diminution de la durée du travail, on réduira le nombre des chômeurs et on combattra efficacement l’avilissement des salariés ».
L’Internationale ouvrière avait enregistré un essor extraordinaire, qui inquiéta fort l’Empire libéral. En 1870, la section française comptait à Paris 70.004 membres, et en province 200.000. Et c’est pourquoi le gouvernement de Napoléon III traqua, emprisonna ses militants, et prononça l’interdiction de la section française, considérée comme société secrète, et son action pour le relèvement du niveau de vie des travailleurs jugée subversive.
Article de René Gibère paru dans Force Ouvrière n°475, daté du 17 mars 1955.