LE 2 MARS 1936
Réunification de façade de la CGT
Après la scission de 1921 et au lendemain des émeutes de l'extrême droite en 1934, l'aspiration à l'unité syndicale se concrétise. Elle n'est pas dépourvue d'illusions.
Après une ultime pirouette de la diplomatie soviétique de ces années 1930, les communistes français abandonnent leur ligne "classe contre classe" au profit de la constitution du Front populaire. Au niveau syndical, cela se traduit par le retour des "unitaires" au sein de la "Grande Maison". Mais ce retour est cousu de fil blanc. Quatre ans plus tard, un nouveau virage de Moscou met fin à une unité illusoire.
Avec sa ligne ultra-gauche et asyndicale, la CGT-U était passée de 500.000 membres en 1922 à 200.000 en 1935 et nombre d'anarchistes et de syndicalistes révolutionnaires étaient revenus à la CGT.
Entre-temps la situation a changé à Moscou. Staline détient les pleins pouvoirs, la famine tue par millions et l'Armée rouge est décimée. Face à la montée en puissance d'un nazisme belliqueux allié à un fascisme non moins guerrier, le tsar géorgien se sent isolé au plan international. Il décide alors de se rapprocher des démocraties occidentales et demande aux partis communistes de leur faire bonne figure.
En France, les ligues fascisantes manifestent violemment le 6 février 1934. Le 12, la CGT appelle à la grève générale «pour la défense et la sauvegarde des libertés». La CGT-U ne s'y rallie que sur la pointe des pieds, sur ordre du PCF. D'ailleurs, en avril, la CGT décide d'organiser un meeting au Vel'd'Hiv. Aussitôt la CGT-U annonce une contre-manifestation. Pourtant, sur ordre de Thorez, les "unitaires" entrent en contact avec la CGT en septembre.
Georges Vidalenc, historien de Force Ouvrière, juge ainsi la "réunification": «Les optimistes, les esprits superficiels et les travailleurs mal informés virent dans cette réunification la renaissance de l'ancienne CGT d'avant 1914 et ils crurent à la résurrection du vieil esprit syndicaliste. Mais les observateurs avertis et les vieux militants n'étaient pas sans inquiétude et ne manifestaient qu'un enthousiasme relatif. Sans doute la réunion de toutes les forces ouvrières constituait sur le plan politique un incontestable succès, mais il s'en fallait beaucoup que l'action syndicale en fût toujours renforcée et facilitée et surtout qu'elle gagnât en clarté. Dans l'euphorie de la réunification, il y eut bien quelques mois paisibles, des réconciliations apparentes, des allocutions pleines de courtoisie et de cordialité, des votes unanimes enthousiastes, mais très vite on put voir que cette fusion n'en était pas une, mais une simple juxtaposition de deux blocs. [...] Unité n'est pas toujours synonyme d'union.»*
Décidée en septembre 1935, l'unité est officialisée au congrès de Toulouse le 2 mars 1936. Les "confédérés" disposent d'une majorité des deux tiers, Jouhaux reste Secrétaire général, quatre Secrétaires adjoints sont des "confédérés" (Belin, Bothereau, Bouyer, Buisson) et deux sont des "unitaires" (Frachon, Racamond).
Pourtant cette unité n'est que de façade car les communistes, en tant que tels, obtiennent deux postes, ce qui est contraire à l'esprit même de la CGT, qui exclut les élections sur la base de tendances. D'ailleurs cette apparence va vite se dissiper. Trois ans plus tard, Staline change de stratégie et signe le pacte germano-soviétique. En soldats obéissants du Komintern, les "unitaires" approuvent cette alliance que la CGT qualifie de «trahison». À l'entrée en guerre, la rupture est consommée.
(*) Georges Vidalenc, "Comment et pourquoi se sont produites les scissions syndicales", Éditions Force Ouvrière.