La GREVE
La grève tire son nom de la place de Grève à Paris. Cette place, située en bord de Seine devant l'Hôtel de Ville, était un des principaux points d'accostage des bateaux. Les hommes sans emploi y trouvaient une embauche facile pour les chargements et déchargements.
La grève est depuis le XIXe siècle[1] une action collective consistant en une cessation concertée du travail par les salariés d'une entreprise, d'un secteur économique, d'une catégorie professionnelle ou par extension de tout autre personne productive, souvent à l'initiative de syndicats. Cette action vise à appuyer les revendications des salariés en faisant pression sur les supérieurs hiérarchiques ou l'employeur (chef d'entreprise ou patron), par la perte de production que la cessation de travail entraîne. Il s'agit d'une épreuve de force : le gréviste n'est pas rémunéré[2] alors que l'entreprise ne produit plus.
Le droit de grève a commencé à être reconnu depuis la loi Ollivier du 25 mai 1864 (avec des restrictions).
Le statut juridique des actions de grève est variable selon les pays, de l'interdiction pure et simple (en particulier dans les dictatures), à l'encadrement réglementaire ou législatif. Dans les pays où la grève est légale, elle est en général interdite à certaines professions comme les militaires, les pompiers professionnels ou encore les policiers
En France, les grandes grèves « ont
généré la production de droits nouveaux »[6]
qualifiés de « conquêtes »[7] ou
d'« avancées »[8] sociales : la grève générale de juin 1936 permit l’obtention des congés
payés, ainsi que la reconnaissance des conventions
collectives et des délégués du
personnel. La réduction du temps de travail a été une lutte importante du mouvement ouvrier
depuis le XIXe siècle - la création en 1889 du 1er mai comme journée annuelle de grève ayant pour but la réduction de la journée de travail à 8 heures
(voir loi des 8 heures).
La grève peut aussi être un outil pour défendre la démocratie :
grève du 12 février 1934 contre le fascisme, grèves pendant l’occupation, grèves en 1961 contre les militaires putschistes, etc. La grève n’est alors « plus simplement l’un des produits de
la démocratie moderne ; elle est aussi garante de la démocratie politique »
Les grèves sont, avec les manifestations et les pétitions, un des moyens privilégiés par les syndicats français et les salariés pour défendre les acquis sociaux tels que les conditions de retraite, la sécurité sociale ou le
système éducatif public, ainsi que pour obtenir des hausses des salaires et des
améliorations des conditions de travail.
Un peu de droit
L'exercice du droit de grève (Article L2511-1 C.du travail)
- L'exercice du droit de grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié.
Son exercice ne peut donner lieu à aucune mesure discriminatoire telle que mentionnée à l'Article L1132-2, notamment en matière de rémunérations et d'avantages sociaux.
Tout licenciement prononcé en absence de faute lourde est nul de plein droit.
Déclenchement de la grève
Information préalable de l'employeur sur les revendications professionnelles
L'exercice du droit de grève suppose que l'employeur ait eu connaissance des revendications des salariés au moment de l'arrêt de travail.
Toutefois, les salariés ne sont pas tenus d'attendre, pour déclencher la grève, que l'employeur ait refusé de les satisfaire.
Préavis facultatif dans le secteur privé
Dans le secteur privé, les grévistes peuvent déclencher un mouvement de grève à n'importe quel moment.
Le libre choix du moment de la grève implique donc l'absence de toute formalité préalable :
Le déclenchement de la grève n'est soumis à aucun préavis.
Ainsi une convention collective ne peut imposer le respect d'un préavis de grève dans le secteur privé car une clause conventionnelle ne peut avoir pour effet de limiter ou de réglementer pour les salariés l'exercice du droit de grève constitutionnellement reconnu. Par conséquent, l'employeur ne peut se prévaloir du non-respect par les grévistes du préavis prévu par la convention collective.
Seule la loi peut créer un délai de préavis de grève s'imposant aux salariés.
Une grève ne saurait perdre son caractère licite du fait qu'elle n'a pas été précédée d'un avertissement ou d'une tentative de conciliation.
Par ailleurs, il ne peut être reproché aux salariés d'avoir choisi pour faire grève, le moment où celle-ci sera la plus gênante pour l'entreprise.
Ne caractérise pas un abus du droit de grève, la grève surprise déclenchée par les caissières d'un hypermarché à une heure de grande affluence, ce qui avait entraîné de nombreux vols par les clients : il appartenait à l'employeur, pour qui la grève était prévisible puisqu'il avait fait venir un huissier pour la constater, de prendre les mesures nécessaires pour en pallier les conséquences dommageables.
Le statut du salarié gréviste
Protection du salarié gréviste
Protection de l'emploi du salarié gréviste Selon l'article L. 522-1 du code du travail, « la grève ne
rompt pas le contrat de travail sauf faute lourde imputable au salarié ». Le salarié gréviste
conserve donc son emploi, le contrat de travail est seulement suspendu pendant toute la durée de
la grève.
Interdiction de toute sanction
Dans l'hypothèse de l'exercice normal du droit de grève, l'employeur ne peut prendre aucune
sanction disciplinaire pas plus qu'il ne peut licencier le salarié gréviste. En effet, selon la Cour de
cassation la suspension du contrat de travail emporte celle du règlement intérieur de l'entreprise
qui pourrait prévoir des sanctions. Ainsi l'employeur ne peut se prévaloir des dispositions du code
du travail ou du règlement intérieur ou d'une note de service afin d'infliger une sanction
disciplinaire à un gréviste pour des faits non constitutifs d'une faute lourde.
Interdiction de mesures discriminatoires
L'exercice du droit de grève ne peut donner lieu de la part de l'employeur à des mesures discriminatoires en matière de rémunération et d'avantages sociaux.
Incidence de la grève sur le contrat de travail
Absence de rupture du contrat de travail
L'article L. L2511-1 du code du travail dispose expressément que « la grève ne rompt pas le contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié ». Pour toute la durée de la grève, le contrat de travail se trouve donc simplement suspendu.
Le salarié en grève, bien qu'il cesse d'être tenu de fournir le travail, n'en continue pas moins à faire partie du personnel de l'entreprise : il ne peut aller travailler chez un autre employeur, sous peine de se voir imputer la rupture du contrat. Inversement, l'employeur ne peut, pour le licencier, prendre prétexte de l'absence prolongée d'un salarié, dès lors que cette absence est due à une grève de caractère licite, suivie par une partie du personnel de l'entreprise.
A noter que pour les représentants du personnel participants à une grève leur mandat représentatif ne se trouve pas pour autant suspendu. La grève n'est pas de nature à interrompre l'exercice des mandats des représentants du personnel et laisse à ceux-ci la liberté de circuler dans l'établissement pour l'exécution de leurs missions.
Incidence de la grève sur le salaire
Suspension du paiement du salaire
La suspension du contrat de travail pour faits de grève emporte celle de l'obligation pour l'employeur de payer les salaires.
En effet, selon la Cour de cassation, l'obligation patronale de verser les salaires se trouve dépourvue de cause en raison de l'inexécution momentanée de l'obligation de travail.
A noter toutefois, que le principe de la suppression du salaire des grévistes peut être écarté par accord de fin de conflit (La Cour de cassation a considéré que l'accord de fin de conflit constituait une transaction régie par les articles 2044 et suivants du code civil et qu'il comporte renonciation à toute réclamation ultérieure sur lesdites questions.) ou en cas de manquement grave et délibéré par l'employeur à ses obligations.
Réduction proportionnelle du salaire
La rémunération des salariés grévistes ne doit subir qu'un abattement proportionnel à la durée de l'arrêt de travail.
Ainsi dans l'hypothèse où un salarié signifie clairement à sa hiérarchie son intention de mettre fin à sa participation à un mouvement de grève, le temps de repos inclus dans la période de travail postérieure à cette manifestation non équivoque de volonté doit être rémunéré.
Pour être proportionnel à l'interruption du travail, l'abattement de salaire pour fait de grève doit être calculé sur l'horaire mensuel des salariés et non en jours calendaires.
Par ailleurs, l'abattement sur salaire qui présente un caractère forfaitaire constitue une sanction pécuniaire prohibée.
Retenue supérieure assimilable à une sanction
Le temps consacré à la remise en marche des machines à l'issue d'un mouvement de grève même répété ne saurait justifier une retenue sur salaire liée à la perte de production qui suit le mouvement, dès lors que la grève est reconnue licite.
La retenue effectuée au-delà du temps exact de la grève constitue une sanction pécuniaire prohibée.
Il appartient à l'employeur, souhaitant opérer une retenue sur salaire supérieure à la durée de la grève, d'apporter la preuve que la reprise du travail n'a pas effectivement eu lieu après chacun des débrayages.
A contrario, il appartient aux salariés grévistes qui contestent les retenues opérées sur leur rémunération de démontrer qu'ils entendaient reprendre leur travail avant la fin du conflit.
Exécution d'un service minimum
Les salariés grévistes qui ont assuré un service minimum à la demande de l'employeur ont droit à la rémunération du travail effectué.
Accord de fin de conflit
Le paiement des heures de grève peut être prévu dans un accord de fin de conflit.
Déroulement de la grève
Rôle des représentants du personnel
Les missions accomplies par les représentants du personnel pendant la grève doivent leur être payées au titre de leur crédit d'heures.
De plus, la grève constitue a priori une circonstance exceptionnelle justifiant le dépassement du crédit mensuel légal et donc le paiement des heures prises au-delà de ce crédit : les démarches d'un représentant du personnel au cours d'un mouvement revendicatif constituent l'exemple même de circonstances exceptionnelles.
Cependant une courte grève de trois jours, ne concernant qu'un seul service et une petite fraction de l'effectif, ne représente pas une circonstance exceptionnelle.
Délit d'entrave
L'employeur qui s'oppose à l'exercice du mandat des représentants du personnel pendant une grève commet le délit d'entrave. Il en est ainsi du chef d'établissement qui refuse à des délégués du personnel et des délégués syndicaux le droit d'accéder aux lieux de travail pour vérifier si les mesures de sécurité avaient bien été prises : le fait que la responsabilité de la sécurité des travailleurs incombe à l'employeur n'est pas de nature à exclure toute possibilité de contrôle de la part des représentants du personnel.
Protection contre le licenciement
Comme tout autre gréviste, un représentant du personnel ne peut être licencié qu'en cas de faute lourde. La procédure protectrice (avis du comité et/ou autorisation de l'inspecteur du travail) doit être respectée.
Occupation des locaux et piquets de grève
Occupation des locaux
Selon la Cour de cassation, le droit de grève ne comporte pas celui de disposer arbitrairement des locaux de l'entreprise ni celui de porter atteinte à la liberté du travail des salariés non-grévistes et à l'exercice par un entrepreneur de son activité.
Dès lors, une telle occupation constitue un trouble manifestement illicite qui permet à l'employeur d'obtenir l'expulsion des grévistes.
Ainsi constitue un acte abusif le fait :
- d'interdire l'accès de l'usine au directeur et au personnel non gréviste ;
- de participer à l'immobilisation d'un train frigorifique ayant pour conséquence de porter atteinte à la liberté du travail
Toutefois la jurisprudence n’admet que l'occupation purement symbolique des locaux du travail alors qu'aucune entrave n'était apportée par les grévistes à la liberté du travail ne constitue pas un acte abusif.
Tel est le cas de :
- l'occupation du réfectoire ;
- l'occupation momentanée et limitée à la partie centrale de l'atelier et aux couloirs menant au bureau du directeur pour accompagner à travers l'usine les délégués se rendant à la direction.
Piquets de grève
Les piquets de grève qui regroupent des salariés grévistes devant l'entreprise ne constituent pas un usage abusif du droit de grève lorsqu'ils n'entravent pas la liberté du travail des autres salariés et le fonctionnement de l'entreprise.
En revanche, lorsque le piquet de grève aboutit au blocage des portes de l'établissement empêchant les non-grévistes d'entrer, l'exercice anormal du droit de grève est caractérisé.
Il en va de même pour des grévistes faisant obstacle à l'entrée et à la sortie des véhicules dans une entreprise ayant entraîné la désorganisation de l'entreprise.
Toutefois, le fait pour des salariés d'une entreprise de transport d'avoir garé les camions devant l'entrée de l'entreprise, et d'être restés sans violence à côté de ceux-ci n'est pas répréhensible dès lors que les camions ne comportaient aucun chargement et que les grévistes avaient remis les clés du véhicule à l'employeur.
Expulsion des grévistes
L'occupation du lieu de travail, dès lors qu'elle porte atteinte à la liberté de travail des salariés non grévistes constitue un trouble manifestement illicite qui permet à l'employeur de demander aux juges des référés l'expulsion des grévistes. En effet, en application de l'article 809 du code de procédure civile, le juge des référés (président du tribunal de grande instance) peut ordonner l'expulsion des grévistes au titre des mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Conditions de l'intervention du juge des référés
Deux conditions doivent être réunies pour justifier l'intervention du juge des référés : l'urgence et l'absence de contestation sérieuse.
Portée de l'ordonnance d'expulsion
Dans la plupart des cas, il sera matériellement impossible à l'employeur d'assigner, devant les juges des référés, chacun des grévistes pris nommément, pour demander son expulsion.
Dès lors, se pose la question de la portée de l'ordonnance d'expulsion rendue en référé, puisqu'il est de règle que les décisions de justice ne puissent avoir d'effet qu'à l'égard des personnes nommément désignées dans l'assignation.
La Cour de cassation autorise aussi pour surmonter ce butoir juridique le recours à l'ordonnance sur requête.
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Elle a, en effet, admis que l'employeur pouvait obtenir du président du tribunal de grande instance une ordonnance sur requête ordonnant l'expulsion de l'ensemble des grévistes, ceci en raison de l'urgence à prévenir un dommage imminent, de la difficulté pratique d'appeler individuellement en cause tous les occupants et de la possibilité pour les dirigeants de fait du mouvement de grève de présenter les moyens de défense communs à l'ensemble du personnel.
Concours de la force publique pour l'exécution de l'ordonnance d'expulsion
Il se peut que même muni d'un titre exécutoire, l'employeur n'obtienne pas l'évacuation des grévistes.
L'employeur peut alors demander l'intervention de la force publique, soit au maire, soit à l'administration préfectorale.
L'autorité administrative peut, en invoquant les nécessités de l'ordre public, refuser à l'employeur le concours de la force publique
Par ailleurs, il convient de préciser que le refus d'évacuation des locaux par les grévistes, malgré une ordonnance d'expulsion peut entraîner :
- le licenciement des salariés concernés pour faute lourde ;
-
la condamnation des représentants du personnel à des dommages-intérêts dans les cas où il est prouvé qu'ils ont incité les salariés à ne pas évacuer les
locaux.
FGTA-FORCE OUVRIERE