26 janvier 1886
La grève de Decazeville
L’histoire du mouvement ouvrier de la fin du XIXe siècle a enregistré comme un événement important la grève des mineurs et des métallurgistes de Decazeville, en 1886, comme celle d’Anzin, en 1884, qui ont profondément touché la classe laborieuse du pays à l’époque.
Sans doute, la loi de 1884 sur la liberté syndicale avait alors considérablement augmenté la tension entre le patronat et les salariés.
La situation matérielle et morale des ouvriers dans le bassin minier et dans les forges était particulièrement dramatiques, les femmes protestèrent : « Nous n’avons pas un morceau de pain à donner à nos enfants. »
Mais insensible à la misère des ouvriers, la Compagnie décida pourtant de diminuer encore les salaires, ce qui consterna la population. En effet, les salaires, au moment de la grève de 1878, variaient entre 150 et 200 francs par mois.
En 1886, par réductions successives, ils tombaient à 33 francs par mois !
Trois mille ouvriers se mirent en grève, pour mettre fin au révoltant système de diminution, mais aussi pour revendiquer une augmentation de salaire, la journée de huit heures, la paye à toutes les quinzaines, la réintégration de tous les anciens ouvriers, licenciés pour fait de grève en 1878, et la démission immédiate du sous-directeur Watrin, qui régnait sur les travailleurs en véritable despote.
Watrin n’accepta pas les doléances de la délégation syndicale et refusa de démissionner.
Alors la population ouvrière, au paroxysme de la colère, accueillit Watrin par une formidable clameur d’indignation et l’exécuta sur le champ. Lorsque le préfet de l’Aveyron apprit la tournure tragique de l’émeute, il déclara : « La Compagnie est coupable d’avoir conservé en place un aussi odieux personnage », mais elle était aussi la complice de Watrin pour « serrer les salaires ».
L’effervescence gagna toute la région industrielle. Le bassin houiller et les forges furent occupées militairement et des ouvriers emprisonnés. La Compagnie, craignant l’aggravation du conflit et la répercussion de la grève sur l’arrêt de la production, négocia avec les délégués syndicaux.
Elle semblait vouloir donner satisfaction à certaines revendications, mais se ravisa et soudain rompit unilatéralement la discussion. Les mineurs et les métallurgistes, soutenus par des fonds de solidarité, décidèrent de poursuivre la grève.
Entre temps, une enquête avait été ordonnée sur les agissements indélicats de Watrin à l’égard des ouvriers. C’est alors qu’on découvrit le pot-aux-roses. Selon un contrat conclu secrètement avec la Compagnie des Houillères et Fonderies de l’Aveyron, Watrin touchait un pourcentage de 10% sur la réduction progressive des salaires !
Cette révélation provoqua un scandale qu’aucune intervention complaisante ne put étouffer. Compromis et démasqué, le président de la Compagnie, M. Léon Say, ancien ministre des Finances, fut contraint de démissionner. De même, la Direction de la Mine et des Forges, qui auparavant refusait toute conciliation, uniquement pour maintenir son système de diminution des salaires, capitula et accepta les revendications des ouvriers.
C’est ainsi qu’après plus de trois mois de luttes, soutenus par Basly, les grévistes triomphèrent de la cupidité de la Compagnie.
Article de René Gibère paru dans Force Ouvrière n°494, daté du 28 juillet 1955.