Accalmie dans la guerre des prix et espoir de reprise en Europe devraient profiter aux grands noms du secteur, qui prennent tous le virage du Net.
Une lumière au bout du tunnel.
Pour la première fois depuis plusieurs années, marquées au fer rouge par la crise et la pression fiscale, le ciel s’éclaircit en Europe.
« Le moral d’achat des Français garde un cap plus optimiste, soutenu par une meilleure perception du pouvoir d’achat et une fréquence d’achats à la hausse », écrit, dans son bulletin du 6 mai, le cabinet spécialisé Kantar Worldpanel.
La consommation redémarre en Europe
Mieux, selon Nielsen, le chiffre d’affaires des produits de grande consommation en Europe a connu sa plus forte progression trimestrielle (+ 4,2 %) depuis trois ans.
Le recul conjugué des taux d’intérêt, de l’euro et des cours du pétrole a apporté une bouffée d’oxygène à la zone euro.
Aussi les experts du Fonds monétaire international ont-ils récemment révisé à la hausse leurs estimations de croissance pour 2015 dans de nombreux pays européens.
Pour la France, c’est un taux de 1,5 % qui est désormais attendu.
Les Français sont moins inquiets et gardent l’envie de se faire plaisir.
Bien sûr, cette tendance à consommer davantage se lit également dans la marche des affaires des grandes enseignes. Pour plusieurs acteurs de la distribution alimentaire et spécialisée, le premier trimestre a marqué une amélioration, et les perspectives pour 2015 sont plus souriantes.
La Bourse ne s’y est pas trompée, qui a commencé à jouer cette future embellie : depuis le début de l’année, quelques titres du secteur ont fait mieux que le Cac 40, à l’instar de Groupe Fnac (+ 36 %), de Dia (+ 31 %) ou de Carrefour (+ 23 %).
La guerre des prix a conduit à des rapprochements inédits
Le marché anticipe donc une amélioration sensible des résultats, et ce malgré un environnement de prix très compliqué pour les distributeurs.
Voilà bientôt trois ans que la guerre fait rage. Cette valse des étiquettes à la baisse, qui redonne du pouvoir d’achat aux consommateurs, fait pression sur les marges des enseignes et les a poussées à des rapprochements inédits.
Afin de peser plus lourds dans les négociations d’achat avec les industriels et les fournisseurs, la centrale d’achat de Carrefour s’est unie à celle de Cora et celle de Casino à celle d’Intermarché. Plus spectaculaire : Auchan et Système U ont le projet d’une union qui propulserait le nouvel ensemble à la place de numéro deux en France, en chiffres d’affaire, derrière Carrefour.
Sur le front des prix, la donne pourrait changer en 2015 : « Aujourd’hui, la bataille sur les prix semble moins violente, au bénéfice des groupes du secteur », estime Benjamin Rivière, gérant de Tiepolo Rendement.
Ce serait une bonne nouvelle.
Compte tenu des baisses de coûts bien engagées, la rentabilité devrait ainsi remonter en 2015. Il faut dire que, depuis plusieurs années, les entreprises ont beaucoup investi dans leurs métiers, ce qui a aussi pesé sur leurs marges.
Pour rendre les magasins plus attractifs, elles ont misé sur la rénovation et l’innovation. C’est par l’offre de produits à forte valeur ajoutée (produits bio, frais, naturels ou locaux) ou par davantage de services (les Drive) dans des magasins relookés que les enseignes ont pu reconquérir des clients.
De plus, dans cette recherche du consommateur perdu, celle qui aura le mieux négocié le virage Internet prendra naturellement une longueur d’avance sur ses concurrentes.
A ce jeu, les groupes traditionnels se sont montrés plus offensifs que les pure players français de la Toile, dont bon nombre se sont fait racheter (Cdiscount par Casino,Delamaison.fr par Leroy Merlin, Rue du Commerce par Altarea et Mistergooddeal par Darty).
Ainsi, parmi les dix premiers sites d’ecommerce les plus visités en France, Cdiscount est deuxième après Amazon, la Fnac se classe troisième et Carrefour sixième.
« Les enseignes à magasins sont passées à la vitesse supérieure », confirme Marc Lolivier, président de la Fevad (Fédération de l’e-commerce et de la vente à distance), qui reste confiant quant à l’évolution de l’ecommerce. « Le nombre d’acheteurs sur la Toile ne cesse de progresser, de même que l’offre sur le Net. Un site se crée toutes les demi-heures en France », ajoute-t-il.
Ainsi, 2015 a commencé plus fort que prévu, notamment grâce à l’engouement pour les achats sur smartphones et tablettes, une véritable tendance de fond. C’est par un parcours client « sublimé » en magasin, via les portables, grâce à des envois de promotions, des informations en temps réel sur la composition des produits et des partages d’avis de consommateurs, que les grands groupes parviendront à mieux fidéliser leurs clients. Le nerf de la guerre, pour un commerçant !
« On estime que 50 % des ventes sont influencées par les avis en ligne »
Entretien avec Stéphane Rimbeuf, associé et responsable du secteur « consumer business » chez Deloitte France
-La reprise qui commence à poindre en Europe se fait-elle sentir sur le niveau de la consommation ?
Réponse : "Au cours des dernières années, les politiques budgétaires ont pesé sur le pouvoir d’achat des ménages, notamment en France et en Italie. Aujourd’hui, la Grande-Bretagne, l’Espagne et l’Irlande vont mieux, mais, en termes de consommation, on ne peut pas encore parler de reprise durable. C’est toujours une croissance molle. Par exemple, les dépenses lors des fêtes de Noël en France ont baissé de 4,5 %. L’effet de déflation peut toutefois masquer une progression des volumes, mais, en valeur, les chiffres d’affaires progressent peu. A l’inverse, aux Etats-Unis, les perspectives sont plus favorables car le taux dechômage y est plus faible et le taux de progression du PIB plus élevé qu’en Europe".
-Et qu’en est-il dans les pays émergents ?
Réponse : "Il ne faut pas confondre croissance économique et croissance de la consommation. Cette dernière s’appuie sur plusieurs piliers que sont la démographie, l’urbanisation, l’éducation des femmes et l’émergence d’une classe moyenne. Ainsi, les groupes de distribution, dont la croissance organique est faible, augmentent leur parc de magasins en allant ouvrir près des lieux d’habitation. C’est le cas, notamment, en Chine ou au Brésil. Quant à l’Afrique, c’est le continent qui recèle, selon moi, le plus d’opportunités pour les années à venir, compte tenu de sa croissance démographique et de la jeunesse de sa population, très réceptive aux nouvelles technologies".
-Comment la distribution a-t-elle pris le virage d’Internet ?
Réponse: "Dans la distribution, on est passés d’un modèle de l’offre à un modèle de la demande. On estime que 50 % des ventes sont influencées par les avis en ligne. C’est l’avènement de l’omnichannel, c’est-à-dire combiner Internet et le magasin à toutes les étapes de l’acte d’achat (la recherche, la comparaison du prix et l’acte en lui-même). Rares sont les groupes de distribution qui parviennent à avoir toutes les palettes de l’omnichannel. Ils ont rarement dépassé le Click and Collect (achat en ligne retiré en magasin). Cela nécessite de lourds investissements informatiques et cela bouleverse aussi toute leur organisation. Il leur faut ainsi mettre en place une même offre au même prix à la fois en magasins et sur le Net. Mais c’est une priorité des managements et c’est en marche. Du côté des grands de l’internet, l’écueil, c’est qu’ils n’ont pas de magasins. Et ils vont devoir adapter leur modèle en réponse aux évolutions engagées par certains grands de la distribution".
-Quelles sont les grandes tendances qui vont, selon vous, modifier, à l’avenir, le paysage de la distribution ?
Réponse : "Dans les pays matures, le vieillissement de la population et le célibat (40 % des foyers) deviennent de vrais enjeux. L’autre grande tendance de fond est la sensibilité au prix, de plus en plus importante, et le commerce via le smartphone. Par exemple, vous êtes proche d’un café Starbucks, lequel vous signale une offre promotionnelle par un message, qui vous avertit aussi que vos amis y sont actuellement et vous y attendent. C’est un secteur en pleine révolution".
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