JURINFO / CPH / Barème / Ordonnances Macron
ORDONNANCES
Indemnités de licenciement
FO plaide la non-conformité du plafonnement
- Le 23 mai dernier les portes de la salle d’audience de la cour d’appel de Paris ont dû rester ouvertes tant l’assistance était nombreuse.
- Ce jour-là les avocats de FO et de cinq autres organisations plaidaient devant l’avocat général pour démontrer la non-conformité du barème des indemnités prud’homales de licenciement, instauré la réforme du code du travail de 2017, avec le droit international, pourtant d’application directe en France.
Depuis plusieurs mois déjà, plusieurs conseils de prud’hommes ont refusé d’appliquer le barème des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, pourtant imposé par la réforme du Code du travail de 2017 (très exactement par la troisième des quatre ordonnances signées le 22 septembre 2017 par le président de la République).
- La remise en cause du principe d’égalité
C’est dans ce contexte que la cour d’appel de Paris a été saisie par l’employeur d’un salarié licencié à qui le conseil des prud’hommes avait précisément accordé en première instance des indemnités supérieures au barème.
Le 14 mars dernier, après la diffusion d’une circulaire de la Chancellerie enjoignant le ministère public d’intervenir dans le débat général soulevé par la fronde des conseils de prud’hommes, la cour d’appel de Paris a sollicité l’avis de l’avocat général.
L’audience a eu lieu le 23 mai au matin, devant une salle comble, où l’on comptait aussi plusieurs militants FO. 4 organisations syndicales, dont FO, mais aussi le syndicat des avocats de France et l’Union des syndicats anti-précarité ont pu s’exprimer dans ce litige parisien en tant « qu’intervenants volontaires ».
Elles ont ainsi œuvré à démontrer que le plafonnement des indemnités prive les salariés injustement licenciés d’une indemnisation à la hauteur du préjudice subi, ôte à l’indemnité tout caractère dissuasif, limite les juges dans leur pouvoir d’appréciation et prive ainsi les salariés d’un procès équitable.
- Autant d’éléments qui font que l’existence d’un barème est contraire au principe d’égalité.
La non-conformité avec les conventions internationales ratifiées par la France
L’avocat de la confédération FO, Maître Zoran Ilic, a notamment plaidé la non-conformité du barème (son « inconventionnalité » en langage juridique) avec les conventions internationales que la France a pourtant signées et qui sont donc d’application directe dans le pays.
Il s’agit de la convention 158 de l’OIT (Organisation internationale du travail) ratifié en 1989 par la France et de la Charte sociale européenne de 1996, ratifiée par la France en 1999.
La convention de l’OIT stipule dans son article 10 que les juges ayant conclu à un licenciement injustifié et qui n’ont pas le pouvoir de l’annuler et/ou d’ordonner la réintégration du salarié, doivent être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée.
L’article 24 de la Charte européenne prévoit aussi le droit des travailleurs licenciés à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée.
Le Comité européen des droits sociaux chargé de superviser le respect des engagements pris en vertu de cette charte a précisé le sens des qualificatifs « adéquate » et « appropriée » en ces termes :
Les mécanismes d’indemnisation sont réputés appropriés lorsqu’ils prévoient le remboursement des pertes financières subies, la possibilité de réintégration, des indemnités d’un montant suffisamment élevé pour dissuader l’employeur et pour compenser le préjudice subi par la victime.
- FO remet en cause l’intention du législateur de favoriser l’emploi
Des indemnités adéquates, des réparations appropriées, une réintégration possible dans l’entreprise… Pour nous, aucun de ces trois points n’est réuni, a tranché l’avocat de FO, soulignant aussi que l’existence d’un barème porte atteinte à un procès équitable puisque cela sécurise la partie la plus puissante, le patron, contre des risques de dommages et intérêts.
Quant à la justification du barème par la nécessité de favoriser l’emploi, l’avocat de FO a remis en cause l’intention du législateur :
De quels éléments dispose-t-on pour démontrer qu’en sécurisant les conséquences du licenciement illicite on favorise l’emploi ?, a-t-il interrogé.
La Cour d’appel de Paris tranchera le 25 septembre
Sans surprise, l’avocat général, qui rappelons le représente le ministère public, a lui invité les juges à rejeter l’argument d’inconventionnalité plaidé par l’avocat du salarié. Il a notamment argué du fait que le barème étant applicable à l’ensemble des salariés, il assure ainsi une sécurité juridique accrue et une prévisibilité, toutes deux d’intérêt général, des conséquences d’un licenciement.
La cour d’appel de Paris rendra son jugement le 25 septembre.
Entre-temps, la Cour de cassation, saisie elle par les Conseils des prud’hommes de Louviers (Eure) et de Toulouse (Haute-Garonne), doit aussi se prononcer le 8 juillet sur l’inconventionnalité du barème.
Article,
ORDONNANCES
Indemnités de licenciement
FO plaide la non-conformité du plafonnement
C158 - Convention (n° 158) sur le licenciement, 1982
Convention concernant la cessation de la relation de travail à l'initiative de l'employeur (Entrée en vigueur: 23 nov. 1985)
Adoption: Genève, 68ème session CIT (22 juin 1982) -
Statut: Pas de conclusions (Conventions Techniques).
La convention peut être dénoncée : 23 nov. 2025 - 23 nov. 2026
Préambule
La Conférence générale de l'Organisation internationale du Travail,
Convoquée à Genève par le Conseil d'administration du Bureau international du Travail, et s'y étant réunie le 2 juin 1982, en sa soixante-huitième session;
Notant les normes internationales existantes contenues dans la recommandation sur la cessation de la relation de travail, 1963;
Notant que, depuis l'adoption de la recommandation sur la cessation de la relation de travail, 1963, d'importants développements se sont produits dans la législation et la pratique de nombreux Etats Membres relatives aux questions visées par ladite recommandation;
Considérant que ces développements rendent opportune l'adoption de nouvelles normes internationales sur ce sujet, eu égard en particulier aux graves problèmes rencontrés dans ce domaine à la suite des difficultés économiques et des changements technologiques survenus ces dernières années dans de nombreux pays;
Après avoir décidé d'adopter diverses propositions relatives à la cessation de la relation de travail à l'initiative de l'employeur, question qui constitue le cinquième point à l'ordre du jour de la session;
Après avoir décidé que ces propositions prendraient la forme d'une convention internationale,
adopte, ce vingt-deuxième jour de juin mil neuf cent quatre-vingt-deux, la convention ci-après, qui sera dénommée Convention sur le licenciement, 1982:
Article 10
Si les organismes mentionnés à l'article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n'ont pas le pouvoir ou n'estiment pas possible dans les circonstances d'annuler le licenciement et/ou d'ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée.
Le barème méconnait la convention 158 de l’organisation internationale du travail et la Charte européenne des droits sociaux
En vertu de l’article 55 de la constitution du 4 octobre 1958, les conventions internationales ont une autorité supérieure à celle des lois françaises.
Par conséquent, chaque norme juridique, et notamment l’article L. 1235-3 du code du travail qui a instauré le barème, doit se conformer à l’ensemble des règles en vigueur prévues par les traités ou accords internationaux, et notamment la convention 158 de l’organisation internationale du travail et la Charte européenne des droits sociaux.
Le contrôle de la conformité des lois et des ordonnances par rapport aux conventions internationales (contrôle de conventionnalité) appartient aux juridictions ordinaires sous le contrôle de la Cour de cassation.
Les conseils de prud’hommes sont donc compétents pour juger de cette conformité, et leur contrôle peut conduire, lors de l’examen d’un litige, à écarter la loi française pour faire prévaloir la convention internationale dans la résolution du litige.
L’article 10 de la convention n°158 de l’OIT sur le licenciement, ratifiée par la France, prévoit que si les tribunaux « arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ».
L’article 24 de la charte sociale européenne du 3 mai 1996, ratifiée par la France, prévoit également qu’ « en vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s’engagent à reconnaître (…) : b) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ».
Le comité européen des droits sociaux (C.E.D.S), organe en charge de l’interprétation de cette Charte, s’est prononcé sur le sens devant être donné à l’article 24 dans sa décision du 8 septembre 2016, retenant que « les mécanismes d’indemnisation sont réputés appropriés lorsqu’ils prévoient :
- le remboursement des pertes financières subies entre la date du licenciement et la décision de l’organe de recours ;
- la possibilité de réintégration ;
- des indemnités d’un montant suffisamment élevé pour dissuader l’employeur et pour compenser le préjudice subi par la victime ».
Le principe de réparation intégrale n’est donc pas respecté par L. 1235-3 du code du travail, dans la mesure où :
- les plafonds sont exclusivement basés sur l’ancienneté du salarié et interdisent, de fait, au juge de tenir compte de l’ensemble des éléments présentés par le salarié pour établir son préjudice, tels une situation personnelle rendant critique la perte d’emploi (âge, situation de famille, handicap…) ou une situation professionnelle fortement dégradée (par exemple un salarié démarché qui déménage dans une autre région pour être finalement licencié abusivement peu de temps après) ;
- les plafonds fixés sont assez bas pour les anciennetés les plus faibles ou modérées, et ne correspondent donc plus à des « indemnités d’un montant suffisamment élevé pour dissuader l’employeur ».
Nul doute que les conseils de prud’hommes – et partant la cour de cassation – vont être saisis de cette question de la conformité de l’article L. 1235-3 du code du travail au regard de la convention 158 de l’organisation internationale du travail et de la Charte européenne des droits sociaux.
A titre d'exemple,
Les décisions récentes rendues par les juges
Le conseil de prud’hommes du Mans, dans un jugement récent du 26 septembre 2018, a jugé que le barème des indemnités prud’homales en cas de licenciement sans cause réelle n’est pas contraire à la Convention OIT n° 158.
Pour cette juridiction, les dispositions de l’article L. 1235-3 du Code du travail respectent les deux principes énoncés par l’article 10 de la Convention OIT, selon lequel l’indemnité versée en cas de licenciement injustifié doit être « adéquate » ou prendre « toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ».
Le conseil de prud’hommes les a donc appliqués pour déterminer le montant de l’indemnité du salarié, en raison du caractère abusif du licenciement.
A l’inverse, le conseil de prud’hommes de Troyes a considéré, aux termes d’un jugement du 13 décembre 2018, que le barème prévu à l’article L. 1235-3 du Code du travail viole tant la Charte sociale européenne que la convention n° 158 de l’OIT.
- Les décisions contradictoires de ce genre vont se multiplier.
Le 5 février 2019, le conseil de prud’hommes d’Agen a écarté l’application du plafonnement limitatif des indemnités en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse inscrit dans le Code du travail, acceptant d’allouer à une salariée une somme d’un montant supérieur à celui auquel elle aurait pu prétendre sur la base de la loi et des barèmes.
Cette décision est importante, car elle a été rendue sous la présidence d’un magistrat professionnel faisant office de juge départiteur entre représentants de salariés et d’employeurs.
La motivation juridique est la suivante:
« le barème établi par l’article L. 1235-3 ne permet pas dans tous les cas une indemnité adéquate ou une réparation appropriée, ne prévoyant pas des indemnités d’un montant suffisamment élevé pour dissuader l’employeur et pour compenser le préjudice subi par le salarié ».
Il faut donc attendre un arrêt d’une cour d’appel pour avoir une tendance et, bien entendu, une décision de la cour de cassation pour être vraiment fixé.
En attendant la Bataille judiciaire continue !
(BM)
Blog publication, 07 juin 2019, 12H06
commenter cet article …