Moins de salariés saisissent les prud’hommes depuis la loi Macron
La réforme de la justice prud’homale introduite par un décret issu de la loi Macron en mai 2016, qui complexifie les procédures pour les requérants, dissuade nombre de salariés de faire valoir leurs droits.
Le bilan d’Emmanuel Macron au gouvernement aura décidément été délétère pour les droits des salariés.
Plus d’un an et demi après la loi du 6 août 2015 « pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques », dite « loi Macron », l’impact de la réforme des prud’hommes commence à se faire sentir dans les différents conseils de France.
Entré en application au 1er août 2016, le décret qui précise les contours des nouvelles procédures a notamment introduit l’obligation de saisir les prud’hommes par le dépôt d’une requête écrite extrêmement complexe, qui semble dissuader nombre de justiciables de faire valoir leurs droits.
Si les statistiques du ministère de la Justice s’arrêtent à l’année 2015, trop tôt donc pour observer l’effet de la réforme à l’échelle nationale, un peu partout en France, les conseils de prud’hommes en perçoivent déjà les conséquences.
« Sur la période allant d’août à décembre 2016, nous avons constaté une baisse de 40 % du nombre de saisines par rapport à la même période en 2015 », affirme Anne Dufour, présidente CFDT du conseil de prud’hommes (CPH) de Paris, qui précise que cette tendance s’est poursuivie en janvier et février 2017 avant de s’infléchir légèrement en mars, où elle a observé « un frémissement de reprise ».
Une forte baisse constatée aussi du côté des prud’hommes de Bobigny, où l’on observe environ un tiers d’affaires nouvelles en moins entre le premier trimestre 2016 et le premier trimestre 2017.
Une diminution telle que la juridiction a été « obligée d’annuler un bureau de conciliation sur le collège de l’encadrement par manque de demandes », affirme Jamila Mansour, présidente CGT du conseil de prud’hommes de Bobigny (Seine-Saint-Denis), pourtant le deuxième conseil en France en nombre d’affaires derrière celui de Paris.
« Beaucoup d’entreprises s’installent, et la Seine-Saint-Denis compte de grosses structures. On a beaucoup de plans sociaux sur le territoire. La baisse du nombre d’affaires ne correspond pas à la réalité », précise la juge, qui déplore que la réforme de la requête « décourage plus d’un salarié de faire valoir ses droits ».
Du côté des prud’hommes de Lyon, on a enregistré une baisse d’environ 40 % des saisines sur la période allant du mois d’août au mois de février entre 2015-2016 et 2016-2017, affirme Bernard Augier, président du CPH de Lyon et représentant CGT au Conseil supérieur de la prud’homie.
« Si on oublie quelque chose, il faut refaire une procédure »
Une problématique qui concerne les affaires au fond mais encore plus les référés, c’est-à-dire les affaires urgentes. Aux prud’hommes de Paris, « si on fait la comparaison entre les trois premiers mois de 2016 et les trois premiers mois de 2017, les référés ont chuté de 47 % », précise Anne Dufour.
À Lyon, le nombre de référés a chuté quasiment de moitié entre la période août 2015-février 2016 et août 2016-février 2017.
« En référé, ce sont souvent des salariés de PME qui saisissent les prud’hommes seuls, pour obtenir des rappels de salaire ou des attestations Pôle emploi, qui n’ont pas l’argent pour prendre un avocat et qui ne côtoient pas de syndicalistes. Ce sont parfois des personnes qui ne maîtrisent pas bien le français, et qui ne sont pas en capacité de remplir la requête écrite », analyse Anne Dufour.
Pour Claude Lévy, défenseur syndical CGT aguerri, cette réforme participe d’une tentative de « professionnalisation des prud’hommes ».
« Avant, on pouvait mandater un syndicaliste d’une union locale pour défendre un salarié. Maintenant, il faut être désigné défenseur syndical, sur une liste agréée. Il faut constituer tout le dossier dès la saisine. On n’a pas le droit à l’erreur dans les demandes, il faut produire l’ensemble des pièces dès le début. Si on oublie quelque chose, il faut refaire une procédure », explique-t-il. Des tâches impossibles à réaliser dans le crédit de dix heures mensuelles magnanimement alloué aux défenseurs syndicaux par le décret issu de la loi Macron.
« On a un peu perdu l’esprit des prud’hommes, qui sont censés être une juridiction de proximité, où les salariés peuvent venir s’expliquer devant les juges », déplore Claude Lévy. « On subit la volonté du patronat, bien aidé par Macron, de complexifier les règles d’accès aux prud’hommes », analyse Bernard Augier.
La loi travail pose aussi problème
En transférant aux prud’hommes la responsabilité de statuer sur les recours contre les avis du médecin du travail, auparavant du ressort de l’inspecteur du travail, la loi El Khomri bouleverse la justice prud’homale.
Celle-ci n’étant censée trancher que les litiges entre salariés et employeurs, les conseillers prud’homaux s’interrogent sur la faisabilité d’une procédure qui opposerait salariés ou employeurs et médecin du travail.
Publication FO CPF, secteur juridique
Sourcing: LOAN NGUYEN, in L'HUMANITÉ