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Coronavirus
La majorité des prud'hommes fermés,
Les salariés peinent à faire respecter leurs droits
Alors que la majorité des conseils de prud'hommes sont fermés en cette période de crise, certains salariés, qui ne sont plus payés, se retrouvent dans l'incapacité de se défendre au tribunal.
- Des avocats dénoncent une juridiction laissée à l'abandon.
Certains salariés ne sont plus payés par leur entreprise.
- Comment faire respecter les obligations des employeurs en cette période de crise du coronavirus ?
Extrêmement difficile, alors qu'une majorité des conseils de prud'hommes sont fermés. Le ministère de la Justice avait pourtant promis que les procédures urgentes seraient toujours possibles, mais cela ne se vérifie pas en pratique.
Des salariés... sans salaire
Illustration en Normandie. Des salariés d’une entreprise s'aperçoivent que leur employeur ne les paye plus. Ils font alors appel à Sophie Challan-Belval, avocate au barreau de Rouen :
"Normalement, nous pouvons faire des procédures d’urgence en référé pour obtenir une ordonnance de condamnation de paiement, ce qui nous permet après de récupérer les salaires pour les gens", explique-t-elle.
La difficulté se trouve dans les dossiers où il y a des urgences, à savoir le non-paiement des salaires, ce qui risque de se multiplier pour beaucoup de personnes au vu des difficultés des entreprises.
Mais aux conseils de prud’hommes concernés, aucun référé possible, lui dit-on, car tout est fermé. "Mes clients se retrouvent sans ressources", signale l'avocate : "Puisqu’ils sont toujours salariés de l’entreprise, ils ne peuvent pas percevoir d’allocation Pôle emploi. Ils sont censés être en télétravail ou en travail effectif avec paiement de leur salaire et… ils n’ont pas de salaire."
Les conseils de prud’hommes dont dépendent les dossiers des salariés concernés sont fermés jusqu’au 15 avril, lui répond-on, dans l’attente de nouvelles directives.
"La juridiction prud'homale est quasiment à l'abandon dans certains cas"
La situation est la même un peu partout en France : Mulhouse, Caen, Nantes, Angers… Le Syndicat de avocats de France (SAF) a lancé un sondage auprès de ses adhérents. Rachel Saada, membre du syndicat et spécialiste en droit du travail, déplore la situation :
"La majorité des conseils de prud’hommes sont complètement fermés. Les juridictions sociales sont des juridictions pauvres et mal considérées", juge-t-elle.
"Et la juridiction prud’homale est de toute façon l’une des juridictions les plus mal loties, déshéritée, quasiment à l’état d’abandon dans certains cas, avec des délais extrêmement longs. Cette crise sanitaire accentue la situation déjà existante, c'est une sorte de coup de grâce."
C’est la juridiction du travail et les travailleurs paient le prix fort de cette pénurie très ancienne, de ce qu’on dénonce depuis des années, et qui évidemment éclate à la figure avec cette crise sanitaire.
À cela s'ajoute, selon Rachel Saada, membre du Syndicat des avocats de France, un manque criant de greffiers :
- "Un décret pris en catimini il y a quelques mois par la Chancellerie permet aux tribunaux judiciaires de prendre des greffiers aux conseils de prud’hommes", note l'avocate.
- "Il semblerait alors dans certaines localités que le tribunal judiciaire, pour faire face au fait qu’il n’y a plus de greffiers, soit parce qu’il s’agit de personnels qui gardent leurs enfants soit parce qu’ils sont en arrêt de travail, sont allés demander à des greffiers de juridictions prud’homales de venir les aider au tribunal judiciaire."
Pas d'explication du ministère de la Justice
Interrogé sur ces fermetures, le ministère de la Justice ne fournit pas d’explication.
Les conseillers prud’homaux ne sont pas des magistrats professionnels, d’où peut-être aussi la difficulté de les solliciter en ce moment. Plusieurs avocats notent, dans le sens des propos de Rachel Saada, qu’une grande partie des moyens est accordée à la justice pénale des crimes et délits pendant le confinement, alors que dans le même temps la situation économique se dégrade dangereusement pour une partie des salariés.
Sourcing: France Inter, Ariane Griessel, Louis-Valentin Lopez publié le 10 avril 2020 à 6h11
Blog publication, 11 avril 2020, 15H31
Modification & documentation, 20 avril 2020, 17H15
Coronavirus.
À Nantes, un accès aux Prud’hommes, très restreint
Le conseil des Prud’hommes de Nantes a mis en place deux permanences téléphoniques par semaine. Mais il ne sera pas facile pour les salariés de saisir la justice, durant cette crise sanitaire.
Le conseil des Prud’hommes de Nantes organise deux permanences téléphoniques par semaine, le mardi et jeudi après-midi.
Un tribunal fermé, des audiences annulées, un standard aux abonnés absents… Le conseil des Prud’hommes de Nantes a connu une situation inédite durant les premières semaines du confinement pour lutter contre le coronavirus. Depuis, la juridiction qui tranche les litiges entre salariés et employeurs… a entrouvert la porte.
Deux fois par semaine, le mardi et le jeudi après-midi, deux greffiers répondent désormais au téléphone (02 40 20 61 30). La boîte à lettres reste accessible et le courrier est relevé. Pour un salarié en conflit avec son employeur, l’accès aux Prud’hommes demeure bien épineux pour l’instant. Faute notamment de greffiers qui avant la crise étaient déjà en sous-effectif. Le virus est passé par là et a mis à l’arrêt le service, avant que deux fonctionnaires puissent être rappelés.
« Pas loin du déni de justice »
« On n’est pas loin du déni de justice, en tout cas l’accès en est très altéré », dénonce Anne-Laure Bellanger, avocate à Nantes qui justement vient d’être saisie par plusieurs salariés.
« Une affaire concerne un licenciement collectif dans une boîte, et l’autre un travailleur qui était jusque-là en télétravail et qui est contraint de retourner dans les locaux de son entreprise. »
Sandrine Paris-Fey observe elle aussi un contentieux lié au Covid-19, notamment des licenciements. « Certains employeurs ne manquent pas de créativité avec des entretiens préalables en visioconférence ou par écrit… »
Mais aujourd’hui, le conseil des Prud’hommes ne retient que les affaires urgentes. Stéphane Carreca, le président du conseil les résume : « Il s’agit du non-paiement de salaires ou la non remise de documents à la fin d’un contrat de travail. »
Pour l’heure, deux audiences sont prévues d’ici la fin du mois. L’une sans la présence des avocats et donc sans plaidoirie en accord avec les deux parties. Une autre le 30 avril avec la présence de deux juges volontaires, qui rappelons-le ne sont pas des juges professionnels. « Mais on ne déborde pas de dossiers pour l’instant », remarque le vice-président, Claude Bruel.
Il faut dire que pour saisir en urgence le conseil, il faut rédiger soi-même l’assignation, et solliciter un huissier (qui ne serait pas confiné) pour convoquer la partie adverse. « Sans avocat, cela me semble bien compliqué », considère Anne-Laure Bellanger.
Cette situation va durer encore combien de temps ? « On travaille à la reprise de l’activité pour le 11 mai », insiste Stéphane Carreca qui d’ores et déjà, demande au président du tribunal de grande instance, des greffiers en nombre suffisant.
- « On peut s’attendre à une augmentation du contentieux en mai et juin. »
Justice de classe !
Ni quarantaine, ni confinement pour les droits sociaux et droits du travail.
Alors que la majorité des conseils de prud'hommes sont fermés en cette période de crise, certains salariés, qui ne sont plus payés, alors que non licenciés, se retrouvent dans l'incapacité de se défendre au tribunal, ou de réclamer en référé le paiement de leurs dûs.
Juridictions sociales laissées à l'abandon.
Non au confinement des droits des salariés !
(BM)
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